Mon blog

Choisir l’amour

Un titre qui pourrait faire penser au prochain tube de l’été qui ferait langoureusement danser tous les amoureux debout, assis ou couché. Hélas non, c’est juste le conseil d’Emmanuel Macron, Président candidat à sa réélection, à Lucie Carrasco, jeune femme handicapée, en direct sur les ondes de France Info le 15 avril dernier signifiant son rétropédalage sur la question épineuse de la déconjugalisation de l’AAH qu’il a lui-même qualifiée de « couperet absurde ».

Pur cynisme, opportunisme électoral ou encore réelle prise de conscience d’une des plus violentes injustices sociales pourtant défendue bec et ongle il y a moins d’un an par le Gouvernement de Macron contre l’ensemble des partis d’opposition à l’Assemblée Nationale ?

 

Pur cynisme, opportunisme électoral ou encore réelle prise de conscience d’une des plus violentes injustices sociales pourtant défendue bec et ongle il y a moins d’un an par le Gouvernement de Macron contre l’ensemble des partis d’opposition à l’Assemblée Nationale ?

Une question à un euro symbolique que je propose de décrypter ici.

L’AAH : KEZAKO

L’AAH ou l’allocation aux adultes handicapés a été créée en 1975 pour compenser l’incapacité de travailler des personnes handicapées. Il s’agit d’une aide financière versée par l’État sous certains critères d’incapacité, d’âge, de résidence et de ressources garantissant ainsi aux personnes handicapées un revenu minimal revalorisé à 919,86 € à partir d’avril 2022. Cette allocation, sous le seuil de pauvreté, concerneraient plus d’un million de personnes en France.

Est-ce que j’écoute mon coeur et je me marie et je deviens un boulet, dépendante physiquement et financièrement ou est-ce que je conserve ma dignité de femme et mon indépendance ?

— Lucie Carrasco

Les adultes handicapés vivant seuls ou dans le foyer parental ne courent aucun risque de voir leur allocation ni diminuer ni supprimer ; ce qui est le cas dès lors qu’ils s’hasardent à se mettre en couple. Leur allocation est alors calculée en fonction des revenus du conjoint ce qui les met inévitablement dans une double voire triple situation de dépendance : physique, affective et financière. Se pose alors un choix cornélien entre rêve d’amour et besoin d’autonomie pour des personnes devant pallier le surcoût engendré par leur handicap.

TÉMOIGNAGE

J’ai personnellement connu un couple dont l’époux, aveugle, s’est vu du jour au lendemain supprimer son AAH parce que son épouse, infirmière, avait fini par trouver un poste fixe dans un hôpital public après plusieurs années de vacation. Lorsque la CAF* lui a expliqué qu’il ne pouvait plus bénéficier de son allocation à cause du salaire de sa femme supérieur à 2 200 €, son seul recours a été de demander à celle-ci de démissionner de son travail. Supportant déjà mal l’idée de dépendre de sa dulcinée au quotidien, rajouter à cela une dépendance financière a été pour lui « un couperet absurde » pour reprendre l’expression de Président Macron. La femme en question m’avait sollicitée pour les aider à trouver une solution pouvant maintenir l’AAH de son cher et tendre, hélas ni moi ni personne ne pouvait, en l’état, satisfaire au sursaut de dignité que voulait préserver ce monsieur. Le couple a fini par divorcer et, un malheur n’arrivant jamais seul, ce monsieur est décédé moins de 2 ans plus tard pendant la pandémie du coronavirus : perte de repères, isolement, prise en charge inappropriée et chagrin d’amour.

Un exemple parmi d’autres qui m’ont engagée à signer et à diffuser largement la pétition qui a mobilisé plus de 100 000 signatures en 2021 autour d’une revendication portée depuis des années par de nombreux collectifs et associations de personnes handicapées, laquelle a abouti à une proposition de loi n° 805 portant sur la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés. Une proposition de loi soutenue à l’unanimité par l’ensemble des partis d’opposition excepté par le gouvernement de Macron qui l’a sèchement retoquée en 2ème lecture au Sénat.

Oui, Monsieur le Président c’est bel et bien un couperet absurde

Parce qu’il s’agit bien souvent d’une question de survie avec des handicaps permanents qui, de surcroit, génèrent un surcoût auquel nous, personnes handicapées, ne pouvons-nous soustraire ;

Parce que tout le monde aspire à une vie épanouie et que le handicap ne disparaît pour autant pas lorsque nous nous mettons en couple. En cela, l’AAH ne saurait être comparable aux autres minima sociaux ;

Parce que l’autonomie est un enjeu central pour nous, handicapés ; que la France a pris des engagements vis-à-vis des instances internationales qu’il faudrait respecter pour être cohérent avec vos discours.

Si un contexte électoral tendu d’entre deux tours peut accélérer la prise de conscience sur cette question de justice sociale, que pensez-vous de faire de la place aux personnes handicapées dans les hautes instances décisionnelles au lieu de se contenter d’une pseudo représentativité de convenance ?

*Caisse d’Allocation Familiale